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Les Philosophes se sont souvent interrogés, et s'interrogent encore, sur les mécanismes qui font agir les Hommes, sur leurs motivations conscientes et inconscientes, qui poussent à tel ou tel comportement. Comment chacun trouve-t-il, ou ne trouve-t-il pas sa place dans la Société ? d'où vient l'ambition de certains, les désirs, les motivations ?
Beaucoup de théories ont été échafaudées, plus ou moins étayées par des observations, et souvent contestées. On peut aisément définir les critères d'une théorie acceptable : être corroborée par les observations ou les expériences, et être explicable. Ce dernier critère est important en philosophie. Contrairement à la Science, où l'observation et l'expérimentation rigoureuses permettent de valider des théories extrêmement contre-intuitives comme la Mécanique Quantique, la philosophie propose essentiellement des observations subjectives, où les règles qui semblent émerger connaissent de nombreuses exceptions, dues en grande partie au libre-arbitre humain.
Ainsi, contrairement aux sciences dures, il est difficile d'appliquer strictement les critères de réfutabilité de Popper (voir article) au vu d'observations apparemment contraires à la théorie. En effet, l'observation ne peut être que superficielle, et reflète difficilement le comportement intérieur du sujet. De plus, de très nombreux facteurs entrent en jeu, même sans parler du libre arbitre humain, ces facteurs entourant tout principe comportemental d'une marge d'incertitude. Pour donner un exemple simple, on peut sans trop de risque faire l'hypothèse que l'Homme désire protéger sa vie et ne désire pas mourir. Les suicides ou les actions héroïques montrent que cette loi peut souffrir des exceptions. On ne pourra donc parler que de tendances générales plus ou moins fortes et non de règle absolue dès qu'on cherchera à dégager des règles du comportement humain.
Cependant, toutes imprécises qu'elles soient, ces règles peuvent permettre d'expliquer ou de décrypter certains comportements, de comprendre leur cause et donc d'être à même de réagir de la manière la plus appropriée. Elles peuvent même amener à prévoir ou à anticiper certains comportements, ce qui peut être précieux pour les sociologues par exemple.
Il ne faut pas perdre de vue malgré tout que l'aspect non purement scientifique des théories du comportement humain ne permet pas de valider correctement ces théories, voire même d'en départager plusieurs. D'ailleurs, est-ce raisonnable de vouloir concevoir LA Théorie du comportement humain, qui expliquerait tous nos faits et gestes dans leurs moindres détails ? Il semblerait plutôt judicieux d'identifier différents ressorts de notre comportement, qui chacun contribueraient pour une part à décider de nos actions.
Pour qu'une théorie du comportement soit acceptable, elle doit de plus être explicable. Pourquoi tel ou tel comportement est-il typique d'une bonne partie des être humains ? Comment est-il apparu lors de l'évolution ? Quel avantage évolutif a-t-il alors procuré pour être retenu par la suite ? Ou au contraire n'est-il qu'un effet secondaire lié à un autre avantage évolutif ? Retrouve-t-on ce comportement ou un comportement comparable chez d'autres animaux ?
En tant qu'animal, l'Homme éprouve les mêmes besoins que tout autre animal, et même que tout être vivant : perpétuer l'espèce (même si certains de nos comportements actuels peuvent nous en faire douter), c'est-à-dire schématiquement se reproduire et se maintenir en vie.
Se maintenir en vie consiste tout d'abord à se nourrir. Sans eau ou sans nourriture, la vie n'est pas possible très longtemps, ce qui place bien entendu ce besoin en tête de tous les besoins. Ceci ne signifie pas que tous les Hommes sans exception placeront ce besoin au-dessus des autres, les grèves de la faim démontrant le contraire.
Se maintenir en vie consiste ensuite à se protéger. Cette protection concerne en premier lieu l'environnement naturel auquel le corps humain n'est pas adapté, du moins en Hiver sous nos latitudes. Pour se protéger, l'homme s'habille, se chauffe et s'abrite. Ces protections sont apparues peu à peu au cours de l'évolution de l'Homme, de la peau de bête au tissu, du feu au chauffage central, de la grotte à la maison, et ont permis à l'homme de peupler des contrées de plus en plus inhospitalières, jusqu'aux pôles, et même aujourd'hui dans l'espace.
La protection concerne également les ennemis. Ces derniers sont d'abord les autres animaux, notamment les prédateurs, mais également les autres Hommes, d'abord d'autres tribus en concurrence pour des ressources naturelles puis aujourd'hui d'autres pays considérés comme potentiellement agressifs ou certaines organisations terroristes.
L'autre grande fonction de la vie est la reproduction, permettant à chaque espèce de ne pas disparaître. Les pulsions engendrées par cette fonction sont à la mesure de son importance, et souvent même prioritaires sur la survie, certains animaux mourant même juste après s'être reproduits (papillons, araignées, ou les saumons par exemple).
Chez l'homme, comme chez les animaux, ces pulsions gouvernent une bonne partie des comportements, et façonnent la Société. Chez l'Homme, elles sont à la base de la notion de couple et de famille, et un des fondements de l'Amour et du romantisme (un des fondements, mais non l'aspect essentiel, qui lui échappe encore largement à toute analyse).
Certains animaux vivent en solitaire, d'autres vivent en tribus. L'Homme appartient à cette dernière catégorie. La vie en groupe permet des avantages certains : protection mutuelle, plus grande efficacité de la chasse, et même entraide pour les espèces les plus évoluées. Cette vie en groupe va de pair avec une organisation sociale plus ou moins hiérarchique. La Société hiérarchique est basée sur les rapports de force, le plus fort devenant naturellement le chef. Elle évolue dans le temps, les vieux dominants laissant la place à des plus jeunes, généralement suite à la perte d'un combat. Cependant, cette hiérarchie peut être adoucie par des comportements sociaux comme par exemple les séances d'épouillage mutuels chez les singes, dont l'utilité est de souder le groupe.
Les membres d'une Société où les rapports sociaux sont nombreux sont généralement assez heureux et insouciants, tandis que ceux d'une Société hiérarchique dure sont généralement stressés, d'autant plus aux aguets qu'ils occupent une position hiérarchique élevée susceptible d'attiser les convoitises.
L'homme quant à lui hésite entre ces deux modèles. Il est vraisemblable que les conditions de vie d'un groupe poussent vers un modèle ou l'autre, selon l'hostilité du milieu ou l'abondance des ressources, ou même les actions de certains individus. En Grèce antique, il y a eu Athènes, et il y a eu Sparte.
Chez l'homme, les critères présidant à la hiérarchie ont évolué avec l'apparition récente (à l'échelle géologique) de la civilisation. La force brute a été progressivement remplacée par d'autres critères dans la compétition pour le pouvoir. On aimerait pouvoir dire que ces nouveaux critères sont l'intelligence et la sagesse, mais ils sont concurrencés par d'autres traits de caractère souvent moins utiles à la communauté, comme la soif de pouvoir, présente chez beaucoup d'hommes politiques, le charisme ou l'éloquence, voire même la ruse ou la manipulation.
Avant même toute notion de hiérarchie, l'Homme cherche à établir des relations avec ses semblables. Même si cette règle peut souffrir quelques exceptions, ermites ou misanthropes, une des plus grandes ennemies de l'Homme est la solitude. Plus que de simples contacts, l'Homme n'a de cesse que de s'insérer dans une Société, d'y trouver sa place, même si cette place n'est pas toujours enviable.
Par ailleurs, les progrès de la Société rendent de plus en plus difficile une vie en solitaire, coupée de la civilisation. Il est facile de se rendre compte que la plus grande partie de notre niveau de vie dépend de la Société dans laquelle nous vivons, Société qui met à notre disposition un grand éventail de savoir-faire en échange de la mise à disposition de notre propre savoir-faire, forcément beaucoup plus limité. Bien sûr, un individu isolé peut être autosuffisant en pratiquant l'agriculture pour se nourrir, en bâtissant sa maison et en confectionnant ses propres vêtements. Il lui sera cependant plus difficile de bénéficier de tout ce qu'une société peut offrir, technologie (voiture, réfrigérateur...), mais également culture et distractions.
La Société permet de mutualiser les différents savoir-faire de chacun pour pouvoir les mettre à disposition des autres membres. Beaucoup de ces savoir-faire deviennent d'ailleurs de savoir-faire collectifs, fruits de la coopération de plusieurs individus, chacun dans sa spécialité.
La Société humaine est structurée en groupes de plus en plus nombreux et complexes, enchevêtrés entre eux.
Dans les premières Sociétés, les groupes étaient relativement peu nombreux et simples à définir :
Lorsque la Société s'est complexifiée, les groupes se sont diversifiés. Certains se sont spécialisés dans le combat, les militaires, d'autres dans l'agriculture, d'autres dans la religion, les prêtres, d'autres dans le commerce, etc... Bien que ces divers groupes collaborent toujours au bien commun, une certaine hiérarchie s'est peu à peu instaurée entre eux. Les militaires et les prêtres ont tiré leur épingle du jeu, les premiers par la domination physique et les seconds par la domination spirituelle.
Les militaires sont naturellement devenus les aristocrates, gouvernant le pays et les provinces, tandis que les prêtres formaient un deuxième ordre privilégié, cohabitant avec le premier. Restaient alors les autres, principalement des paysans au départ, mais qui avec la disparition du système féodal sont également devenus des bourgeois.
Aujourd'hui, la Société est devenue très complexe, et les groupes innombrables. Cependant, certains groupes sont très structurants pour notre Société, alors que d'autres n'ont qu'une influence annexe.
Le groupe le plus structurant est bien entendu la nation. La majorité des personnes se reconnait dans une nation, et adhèrent à sa culture et à ses valeurs fondamentales. Si peu de personnes se sentent réellement "Citoyens du Monde", faute de valeurs à partager, de plus en plus d'Européens se sentent réellement Européens, en plus de leur nationalité d'origine.
De l'autre côté, une grande majorité de personnes possède également des racines plus locales, au niveau d'une région, voire même d'une commune ou pourquoi pas d'un quartier.
Cette structuration est le plus souvent d'origine géographique. On se sent proche des gens qui sont nés dans le même village, dans la même région ou dans le même pays. Elle est plus rarement d'origine culturelle, lorsqu'une personne se fait naturaliser par conviction et non par nécessité.
Un autre groupe structurant est la religion. La croyance en un même Dieu ou un même dogme rapproche les hommes entre eux, tout en les séparant de ceux qui ne croient pas la même chose. Si la religion a longtemps été liée à la nationalité, et l'est encore dans certains pays, ces deux concepts deviennent de plus en plus indépendants. Ceci est encore plus évident dans des pays laïcs comme la France. Il est malheureusement inévitable que des conflits surgissent entre religion et nationalité, lorsque loi et foi divergent.
La différence homme-femme, même si elle est beaucoup moins importante aujourd'hui, reste un facteur social majeur. Si l'égalité homme-femme progresse dans l'entreprise et en politique, des régressions inquiétantes se font jour dans certaines couches sociales.
De même, les enfants, jadis quasiment inexistants au niveau social, deviennent aujourd'hui des acteurs à part entière, courtisés par les média et les publicitaires, d'autant plus qu'ils n'ont pas encore la maturité nécessaire pour détecter les tentatives de manipulation.
D'autres groupes, s'ils ne sont pas structurants, sont également importants dans notre Société, car modelant la vie de la plupart des citoyens.
Beaucoup de groupes de moindre importance existent, permettant de rapprocher les hommes qui ont des intérêts communs. Ce peuvent être des clubs sportifs, des associations, sans oublier, bien entendu, la famille. Ces groupes n'ont cependant généralement pas ou pas beaucoup d'influence en dehors de leurs membres.
Il faut bien entendu également citer des groupes discrets, voire même secrets, dont l'influence peut être importante, ou du moins fantasmée comme telle. Dans la liste, nous trouvons essentiellement les Francs-maçons ou les Scientologues, ou d'autres groupes para-religieux, toujours soupçonnés, à tort ou à raison, de noyauter les milieux du pouvoir.
Avant même toute notion de hiérarchie, tout individu ressent le besoin de se situer parmi ses semblables. A quel groupe appartient-il, et quelle position occupe-t-il dans chaque groupe ?
Entre deux individus, les relations peuvent aller de l'indifférence à un lien social, qui peut être un lien d'égal à égal ou un lien de domination/subordination.
Le besoin de dominer l'autre, ou du moins d'établir une hiérarchie est en effet presque toujours présent chez l'Homme, même s'il n'est pas perçu. Cette domination peut prendre de nombreuses formes, de la compétition amicale à la hiérarchie stricte chef-subordonné. Nous analyserons plus loin les différentes formes et stratégies de domination.
La hiérarchie s'articule souvent autour des groupes, que ce soient des groupes explicites tels que nous les avons décrits au chapitre précédent, ou des groupes implicites, définis par une caractéristique commune, évidente comme les fumeurs et les non-fumeurs, les couples et les célibataires, ou moins évidente, comme par exemple les personnes qui possèdent une voiture chère et celles qui ont une voiture bon marché. Nous verrons l'utilité de définir de tels groupes.
Il est intéressant de constater que la hiérarchie ne s'exprime que dans deux cas de figures :
La supériorité réelle ou imaginée d'un groupe sert en fait à des membres de ce groupe à définir des hiérarchies dans d'autres groupes auxquels ils appartiennent, voire des hiérarchies absolues (qu'on peut ramener au cas précédent en considérant le groupe de tous les Humains). Le citoyen d'une nation "supérieure" se sentira de facto supérieur à tous les citoyens des nations "inférieures", même s'il n'occupe pas une position importante dans cette nation "supérieure". Il y a bien entendu des limites à ce schéma, mais il explique assez bien le colonialisme par exemple.
Une stratégie efficace de domination sera donc d'adhérer à des groupes considérés comme dominants. Parfois, ces groupes sont relativement fermés, mais d'autres peuvent être plus accessibles ; cependant, un groupe trop accessible finira par perdre son caractère dominant. C'est par exemple le cas aujourd'hui du golf, anciennement activité pratiquée uniquement par la classe dominante et qui, devenu trop populaire, est déserté par les riches, qui se lancent dans le polo, dont le ticket d'entrée est beaucoup plus élevé.
Lorsqu'il n'est pas possible d'adhérer à un groupe, on peut s'en créer un sur mesure, ce qui offre un substitut acceptable, même si dans ce cas, la domination risque de ne pas être connue du dominé. Ainsi, les végétariens se sentiront supérieurs aux mangeurs de viande, supériorité bien entendu non acceptée par ces derniers. Les gens qui pensent avoir de bonnes manières se sentiront supérieurs à ceux dont ils pensent qu'ils ont des mauvaises manières, les personnes possèdent une voiture chère se sentiront supérieures à celles qui n'ont qu'une voiture bon marché, et ainsi de suite. Remarquons que nous nous situons ici dans un schéma de domination unilatérale, ou la domination est rarement exprimée, et ne serait de toutes façons pas acceptée par l'autre partie. On se sent supérieur, mais on le garde généralement pour soi.
Cette domination est souvent associée avec le jugement d'autrui : on juge la personne que l'on désire dominer, jugement à charge bien entendu, lui reprochant tel ou tel défaut qui nous la rend inférieure. Et bien entendu, les motifs ne manquent pas. Le jugement est cependant le plus souvent individuel, une personne en jugeant une autre, bien qu'on puisse également reprocher à autrui son appartenance à un groupe. Le jugement est d'ailleurs souvent une forme de défense contre une domination plus explicite de l'autre personne : l'exemple typique est celui de la personne qui a mieux réussi professionnellement, et qu'on soupçonne forcément de devoir sa réussite à quelque procédé irrégulier, voire malhonnête.
Une autre forme de domination de groupe est l'adhésion à un groupe dont l'idéologie prône la supériorité d'une partie de l'Humanité sur l'autre. L'adhésion d'un homme à un groupe religieux fondamentaliste permet souvent à des individus mals dans leur peau de se sentir tout à coup supérieurs à toutes les femmes, ce qui ne représente quand même pas moins de la moitié de l'Humanité. D'autres groupes prônent la supériorité d'une race sur les autres, ce qui permet là encore à leurs membres de s'imaginer dominer une grande partie de la planète.
L'adhésion à un groupe permet également d'échapper à une domination lorsque le dominant n'appartient pas à ce groupe ; en effet, la domination, n'ayant lieu qu'au sein d'un même groupe, est diluée par une appartenance multiple. Ainsi, un ouvrier pourra échapper (mentalement) à la domination du patron en se plaçant dans le groupe des prolétaires, groupe qu'il mettra au premier plan, devant la notion d'appartenance à la même entreprise. Toute action de domination du patron sera alors amortie par le fait qu'elle sera ressentie comme une tentative de domination du groupe et non individuelle.
Le risque d'une telle attitude est bien entendu de pousser au fatalisme, à la résignation, voire même à ne plus essayer de progresser au prétexte qu'on appartient à un groupe de dominés. Cette attitude est bien commode pour justifier une certaine paresse en expliquant que de toutes façons, ce n'est pas la peine d'essayer. Le paroxysme de cette attitude se retrouve en Inde, dans la caste des Intouchables, qui acceptent, sous des motifs religieux, d'être mis au ban de la Société, du moins jusqu'à leur prochaine réincarnation.
Nous venons donc de voir quelques stratégies classiques de domination :
D'autres stratégies existent, et peuvent expliquer certains actes autrement incompréhensibles :
Domination et pouvoir sont des notions qui sont souvent confondues. Si la domination s'accompagne fréquemment d'un pouvoir réel du dominant sur le dominé, ce n'est pas toujours le cas comme nous allons le voir. A l'inverse, nous verrons également que le pouvoir réel n'est pas si souvent synonyme de domination. Nous assistons en fait assez souvent au schéma classique de la répartition des rôles entre un dominant qui s'apparente plutôt à un homme de paille, qui possède les attributs du pouvoir sans le pouvoir réel, lequel est aux mains de personnages de l'ombre.
Assez tôt dans cet article, il est facile de se rendre compte que domination n'est pas pouvoir : le cas le plus flagrant est celui de la domination unilatérale, celle où le dominé ne reconnaît pas la domination. Se sentir supérieur parce que l'autre se tient mal à table n'implique évidemment pas le moindre pouvoir de celui qui connaît ou croit connaître les bonnes manières. L'autre cas est la domination par classement sur une valeur, comme dans un club sportif : être meilleur qu'un autre au tennis n'implique évidemment pas un quelconque pouvoir.
On pense dans ce cas tout de suite aux hommes de l'ombre, qui tirent les ficelles en coulisse. Cependant, le pouvoir, défini par le fait d'être capable par ses actions d'influencer le comportement d'autrui, ne nécessite aucunement de domination, même si l'exercice de ce pouvoir procure ce sentiment, aboutissant là encore à une domination unilatérale.
Le pouvoir du non-dominant le plus connu est évidemment le pouvoir de nuisance. Dans un processus, chaque étape humaine risque d'être le siège d'un tel phénomène, selon l'ego de la personne qui l'occupe. Les images d'Épinal sur le sujet ne manquent pas, fonctionnaires refusant un dossier parce qu'une case n'est pas cochée, bureaucrate attendant systématiquement une semaine avant de signer tout papier qui lui est soumis, même (ou surtout) urgent...
A l'inverse, le pouvoir réel peut être positif et valoriser vis-à-vis d'elle-même une personne qui se sait indispensable, même si sa position officielle est basse dans la hiérarchie. On assiste cependant souvent à des affabulations, et chacun sait que les cimetières sont remplis de gens indispensables.
On ne peut pas terminer un essai sur les bases du comportement humain en ignorant la théorie la plus en vogue actuellement sur le sujet, celle du mimétisme de René Girard. Dans cette théorie, le désir d'une personne pour un objet (au sens large) est imité par une autre personne, qui désire donc le même objet. Le désir de cette deuxième personne va à son tour renforcer le désir de la première personne, et nous assistons alors à un renforcement mutuel du désir de ces deux personnes, qui ont alors tout oublié de l'objet initial de leur désir pour ne penser qu'à leur rivalité : c'est le phénomène de la crise mimétique.
Bien entendu, l'expérience de tous les jours nous montre que le désir n'est heureusement pas contagieux dans la majorité des cas, ce qui pourrait suffire en soi à réfuter cette théorie, ou du moins à faire apparaître son incomplétude. Il existe également des cas réels de rivalité où seul compte l'objet de cette rivalité.
En fait, dans quel cas voyons-nous apparaître la rivalité mimétique girardienne ? elle apparaît lorsque l'objet désiré est vu comme un symbole de domination. Dans ce cas, l'objet n'est plus désiré pour lui-même, mais pour la domination qu'il procurera sur les autres. La crise mimétique n'est plus alors que la lutte pour savoir lequel dominera l'autre, le symbole de la domination passant en second plan lorsque la cause réelle de la rivalité se dévoile.
A la lumière des explications et exemples donnés dans cet article, nous pouvons arriver à mieux comprendre notre société, en arrivant à distinguer derrière le masque des intentions affichées la réalité des motivations, d'ailleurs pas toujours conscientes.
La politique est évidemment le lieu idéal pour toutes les luttes de domination. Sans cesse sous le feu des média, les hommes politiques étalent au grand jour toutes leurs ambitions, et leurs déclarations de bonnes intentions ne trompent personne, à part peut-être eux-mêmes. Chacun sait qu'il faut traduire la "grande ambition pour la France" par une grande ambition personnelle.
Bien souvent, les hommes politiques ne se contentent pas de la domination pure, ils désirent qu'elle soit accompagnée d'un pouvoir réel. Ils cherchent donc à concrétiser ce pouvoir du mieux qu'ils le peuvent. Certains, que l'on pourrait qualifier de "petits joueurs", essaient de concrétiser ce pouvoir dans des avantages matériels, vacances aux frais de l'État, appartements luxueux à prix dérisoires, ou carrément gains occultes, en liquide ou sur des comptes numérotés en Suisse. Les autres, dédaignant ces mesquineries, préfèrent profiter de leur pouvoir pour graver leur empreinte afin de laisser un souvenir le plus pérenne possible de leur passage. On assiste alors à des constructions de musées, d'opéras, de bibliothèques ou de tramway dont l'utilité première est de sauver de l'oubli l'homme politique qui en aura été à l'origine. D'autres laisseront leur nom à une loi, mais ce genre de gloire est généralement plus éphémère, seules quelques grandes lois comme par exemple la loi Veil sur l'avortement passant avec succès les décennies.
Cependant, si on continue par habitude à appeler les instances politiques le "pouvoir" politique, il faut bien reconnaître que ce pouvoir est en constante baisse, au profit du pouvoir économique.
Dans le modèle idéal de l'entreprise, chaque salarié, chaque cadre est animé du même but, mettre ses compétences au service de l'entreprise elle-même, l'entreprise récompensant alors chacun selon ses mérites et ses résultats par des augmentations de salaire et des promotions. Si ce modèle peut être valide dans de petites entreprises où chacun est impliqué directement dans son fonctionnement, il faut bien reconnaître que généralement, les salariés n'ont pas que les résultats de leur entreprise en tête, loin de là.
Chaque salarié cherche au contraire à optimiser son intérêt personnel avant toute autre considération. Cet intérêt personnel est bien entendu le salaire, mais également la durée du travail, sa dureté, son intérêt. Lorsqu'il peut y prétendre, un salarié cherchera également à améliorer son statut, à monter dans la hiérarchie, bref à "faire carrière". Contrairement aux idées reçues, on s'aperçoit assez rapidement que la productivité de l'entreprise n'est pas freinée par les exécutants, ouvriers et techniciens, mais bien plutôt par les cadres dirigeants qui dissipent une bonne partie de leur énergie dans des jeux de domination plutôt que de se consacrer à l'intérêt de leur entreprise.
Certes, la productivité est réellement dépendante du coût du travail, et donc directement des salaires et du temps de travail. Cependant, cette productivité est largement modulée par la stratégie des cadres dirigeants. Pour optimiser la productivité, il faut que chacun ait une charge de travail optimale, ni trop ni trop peu, et correspondant au mieux à ses capacités. Cette optimisation est du ressort de l'encadrement. Or, ce dernier oublie souvent son rôle de responsable pour se consacrer à son rôle de chef, en se focalisant, non sur les subordonnés, mais sur les supérieurs, à satisfaire, et les égaux, à évincer. Les subordonnés sont alors considérés comme quantité négligeable, ou plus précisément comme simple quantité permettant de mesurer la position hiérarchique, qui dépend directement du nombre de personnes encadrées. Cette situation aboutit bien souvent à la démotivation des subordonnés mal considérés.
La rivalité permanente des chefs dans l'entreprise est la conséquence directe de l'envie de domination, chacun désirant passer devant son voisin et gagner plus d'argent que lui, l'argent étant à ce niveau considéré plus comme un symbole de domination qu'un moyen économique. En effet, si bien gagner sa vie n'est pas désagréable, on peut se demander ce qui pousse un chef d'entreprise gagnant plus de cent fois le salaire de certains employés à vouloir toujours gagner plus, sinon afficher encore plus sa domination.
La vision de notre Société donnée dans cet article ne peut qu'inspirer le pessimisme. Les mécanismes de domination, simples, directs et assumés dans les sociétés primitives, se sont complexifiés avec notre Société, et échappent de plus en plus à tout contrôle. Il est difficile d'imaginer dans ces conditions comment notre Société pourrait évoluer vers une Société idéale, ou même s'en rapprocher un tant soit peu. Certes, les progrès matériels continuent à une vitesse de plus en plus grande, mais spirituellement, l'Humanité n'a guère fait de progrès depuis l'Homme de Cro-Magnon. Les guerres et les dictatures ont encore de beaux jours devant elles, et personne n'imagine plus qu'on arrive un jour à éradiquer la pauvreté dans le monde, voire même seulement dans les pays dits civilisés.
Cependant, l'Homme a la capacité, de par son intelligence et son libre arbitre, de sortir de ces schémas inscrits dans ses gènes, mais également transmis par notre culture. Il lui suffit pour cela de s'arrêter quelques instants, de réfléchir et de se demander pourquoi il agit comme il le fait, et si c'est vraiment cela qu'il recherche.
Ce genre de dialogue avec soi-même, sans se mentir, permettrait de faire le point, et de faire la différence entre la véritable motivation personnelle et celles imposées par notre instinct animal ou par le conformisme avec une société qui a fait de la domination des autres la plus grande de ses valeurs. Une fois le tri effectué, il deviendrait possible à chacun de s'épanouir en se consacrant à ses véritables centres d'intérêt, au lieu de gâcher sa vie à essayer de tenir dans un moule imposé de l'extérieur. Beaucoup de stress pourrait alors disparaître, et le bonheur redeviendrait une valeur à cultiver.
Il faut cependant malheureusement constater qu'aujourd'hui, peu de personnes font cette démarche et que la domination d'autrui a encore de beaux jours devant elle.
Hervé Jamet
Juillet 2005
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