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La Philosophie a pour but premier la connaissance. A l'origine de la Philosophie se trouve, selon Platon et Aristote, l'étonnement. L'Homme n'admet pas que tout aille de soi, et pose la question du Pourquoi : Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien, quelle est l'origine des phénomènes que nous observons, et pourquoi vivons-nous ?
Cette dernière question pose le problème de la Mort, et amène à réfléchir sur soi-même.
Jusqu'au XVIe siècle, la Philosophie a englobé la Science, dans un traitement global de la connaissance. La Science a alors pris son autonomie notamment avec Galilée, qui a introduit la notion d'expérimentation et qui a joué un rôle majeur dans l'utilisation des mathématiques pour modéliser les lois de la physique.
La Philosophie s'est alors recentrée sur l'Homme, sur le sens des choses, et notamment le sens de la Vie. Elle essaie d'aller au-delà des concepts scientifiques, en les prolongeant pour essayer de passer du "comment" au "pourquoi".
Cependant, contrairement à la Science, la Philosophie n'est pas à l'abri des dérapages. Elle ne bénéficie pas en effet de la sanction de l'expérience et de l'observation, ou du moins pas de manière rigoureuse. En Science, il suffit d'un seul fait non concordant pour invalider une théorie. En Philosophie, les validations sont beaucoup plus délicates, sinon impossibles à obtenir.
Mais, le risque de la Philosophie, au-delà de l'erreur, est le non-sens. Alors que dans un texte classique, le non-sens est facilement détectable, en Philosophie, il a tendance à se cacher derrière un discours grandiloquent, voire hermétique. Et ce que l'on croit être une pensée profonde peut s'avérer être un charabia incompréhensible et dénué de sens. Citons un petit passage de Félix Guattari pour illustrer ce propos :
On voit bien ici qu'il n'existe aucune correspondance bi-univoque entre des chaînons linéaires signifiant ou d'arché-écriture, selon les auteurs, et cette catalyse machinique multidimensionnelle, multiréférentielle. La symétrie d'échelle, la transversalité, le caractère pathique non discursif de leur expansion : toutes ces dimensions nous font sortir de la logique du tiers-exclu et nous confortent à renoncer au binarisme ontologique que nous avons précédemment dénoncé. Un agencement machinique, à travers ses diverses composantes, arrache sa consistance en franchissant des seuils ontologiques, des seuils d'irréversibilité non linéaires, des seuils ontogénétiques et d'autopoïèse créatives.
Les deux pièges de la Philosophie sont effectivement, d'une part les jeux de langage, dans lesquels la pensée tourne en rond sans se raccrocher à quoi que ce soit de réel, et d'autre part l'abus de concepts nouveaux aboutissant à créer un monde virtuel déconnecté du réel. Dans ces deux cas, la réflexion se réfugie dans des énoncés aussi irréfutables que vides de sens, dans des questions ésotériques qui ne pourront jamais réellement trouver de réponse.
Une nouvelle dérive constatée chez certains philosophes modernes est l'utilisation abusive de concepts scientifiques mal digérés utilisés totalement en dehors de leur contexte et bien souvent de manière fort peu rigoureuse.
Au-delà de la dénonciation, une preuve de ces dérives a été apportée en 1996 par Alan Sokal, qui a réussi à faire publier une parodie de texte philosophique dans une revue américaine faisant autorité dans le domaine philosophique, "Social Text". Le titre de cette parodie donne le ton de l'article : "Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique".
Il ne faut cependant pas jeter le bébé avec l'eau du bain. De nombreux philosophes restent parfaitement compréhensibles, et leur discours bien construit. Citons pour mémoire Ludwig Wittgenstein, qui a précisément cherché à démystifier les abus du langage. Mais beaucoup d'autres philosophes restent très abordables pour le profane, ce qui ne signifie pas que leurs écrits se lisent obligatoirement comme un roman, mais qu'au moins, le lecteur arrive à comprendre ce qui est écrit, sans avoir à relire cinq fois chaque phrase. A partir de ce point, il devient possible de s'approprier la pensée du philosophe, ou bien alors, pourquoi pas, de la critiquer, en toute connaissance de cause.
Tous les philosophes devraient relire ces sages conseils de Boileau :
I1 est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d'un nuage épais toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
On peut certainement vivre sans Philosophie. Classiquement, la Religion se substitue à la Philosophie, répondant de manière dogmatique à la question essentielle de la Mort. Cette réponse est généralement un escamotage, la Mort étant généralement présentée comme une simple transition vers une nouvelle vie, généralement plus heureuse, et surtout éternelle.
Cependant, avec la perte contemporaine du sens religieux, cette question se repose de plus en plus souvent. La nouvelle réponse à cette question, l'affairement, est en fait une non-réponse. Il s'agit de ne plus se donner le temps de penser, d'éviter de se retrouver face à face avec soi-même, en se jetant à corps perdu dans une multitude d'activités, professionnelles ou ludiques. Les cadres dynamiques sautent d'une réunion à l'autre, les membres de la Jet-Set vont de soirée en soirée tandis que d'autres se contentent d'absorber des émissions télévisuelles à haute dose.
Malgré tout, on finit par se rendre compte de la vacuité d'une telle vie, dans laquelle on a laissé les autres réfléchir, voire exister à notre place. Ceux qui ont passé leur vie à courir, ou bien assis devant un téléviseur finissent par se retourner sur leur passé pour se rendre compte de la superficialité de ce qu'ils ont vécu, de tout ce qu'ils auraient pu faire, de tout ce qu'ils ont manqué. Ils s'aperçoivent qu'ils ont traversé leur vie en touriste, sans vraiment avoir apporté de contribution significative.
Par ailleurs, la Philosophie n'est-elle pas la seule et dernière chance de notre civilisation occidentale matérialiste ? Il ne s'agit plus ici de théorie abstraite, mais de la triste réalité. Privée des repères spirituels que seule la Philosophie reste à même de rétablir, notre civilisation ne fonce-t-elle pas dans un mur ? On assiste malheureusement à une fuite en avant, entretenue par le mythe de la croissance économique continue, qui se traduit par une surexploitation des ressources naturelles, une recherche effrénée de la rentabilité, et surtout une vision à court terme excluant toutes les conséquences de nos actions présentes pour les générations futures.
Le citoyen est devenu avant tout un travailleur-consommateur, un pion dans une énorme machine économique que plus personne ne maîtrise, et que peu de personnes cherchent encore à maîtriser.
Si la Science permet de prévoir les conséquences physiques de nos comportements, par exemple les risques liés à l'effet de serre, elle est impuissante à modifier ces mêmes comportements. Le consommateur ne voit pas pourquoi il devrait consommer moins ou mieux, pourquoi il devrait renoncer à certains avantages de sa vie de civilisé, même si la Science lui a démontré les risques d'un tel comportement. Et bien entendu, il ne faut pas compter sur la classe politique, le consommateur étant aussi généralement un électeur.
La modification de nos comportements, la vision à long terme ne pourront pas s'acquérir sans une réflexion approfondie. Cette réflexion sur l'avenir de l'Humanité entre totalement dans le champ de la Philosophie, seule à même de nous permettre de dépasser notre vision purement matérialiste à court terme et de repenser la place de l'Homme sur cette Terre. Et nous pouvons réaffirmer, avec André Malraux
"Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas."
Hervé Jamet
Août 2003
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