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Le 29 mai 2005, les Français sont appelés à se prononcer pour ou contre la ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe. A cette occasion, le suspense est à son comble, les partisans du OUI et du NON faisant quasiment jeu égal.
Certes, beaucoup de Français ne voteront pas pour le texte lui-même, mais pour répondre à une question qui ne leur a pas été posée, comme à leur habitude. Certains voteront NON pour sanctionner le gouvernement français, d'autres pour refuser l'Europe elle-même. D'autres voteront OUI pour faire avancer l'Europe, sans trop se préoccuper du contenu réel du traité.
Cependant, parmi les partisans du NON, beaucoup de voix pro-européennes s'élèvent pour dénoncer le contenu du traité lui-même, jugé néfaste. De leur côté, les partisans du OUI peinent à trouver les bons arguments, et agitent l'épouvantail de la marginalisation de la France dans l'Europe en cas de victoire du NON.
En fait, il faut bien reconnaître que ce traité présente beaucoup de défauts et pose certains problèmes. Faut-il pour autant le rejeter en bloc, avec le risque de figer l'Europe dans son état actuel ?
Dans sa version téléchargeable sur le site http://www.constitution-europeenne.fr, le traité pèse 485 pages au format A4. Dans la version envoyée aux électeurs français, il a été réduit à 191 pages, grâce à une mise en page sur deux colonnes et à une plus petite police de caractères. A titre de comparaison, la version téléchargeable de la Constitution française ne pèse que 39 pages !
Cependant, il est vrai que le traité lui-même ne fait "que" 210 pages dans la version téléchargeable, 87 pages dans le version distribuée, le reste se composant de protocoles et annexes. Ce traité se compose de quatre parties, dont les deux premières sont les plus importantes (60/26 pages). Ces deux premières parties traitent des principes fondamentaux de l'Union européenne, alors que les deux dernières parties abordent des sujets plus pratiques sur le fonctionnement de l'Union.
La rédaction du traité elle-même n'est pas toujours limpide, le fameux "nonobstant" y apparaît 7 fois, dont une dans le traité lui-même (article III-378 de la sous-section 5 de la section 1 du chapitre I du Titre VI de la partie III page 170/72). Et si on regarde les annexes, on y trouve une liste à la Prévert de sujets allant de l'élevage des rennes par le peuple Lapon (page 299/124) aux centrales nucléaires d'Ignalina en Lituanie (page 331/137) ou de Bohunice V1 en Slovaquie (page 341/141) en passant par l'acquisition de résidences secondaires et l'avortement à Malte (page 335/139). On y lit que "PHS doit revoir sa gamme de produits, en réduisant sa surcapacité pour les produits longs semi-finis et, de manière générale, se tourner vers le marché des produits à plus haute valeur ajoutée".
Les valeurs et objectifs de l'Union sont précisés dès les premiers articles. En ce qui concerne les valeurs proprement dites, contenues dans l'article I-2, personne ne trouvera matière à contestation, même si la fraternité de la devise française ne s'y retrouve pas, remplacée par la solidarité.
Les objectifs, quant à eux, sont nettement plus contestés, notamment la fameuse "concurrence libre et non faussée". Remarquons cependant que cette notion peut être comprise à la fois dans un sens libéral, mais aussi social, dans la mesure où on peut considérer que le "dumping social", grande crainte des partisans du NON, fausse justement la concurrence.
Il serait cependant injuste de ne pas se réjouir des valeurs fondamentales inscrites dans la constitution, dignité humaine, liberté, démocratie, égalité, mais aussi justice et protection sociale, ainsi que la sauvegarde et le développement du patrimoine culturel européen.
L'institution phare de l'Union européenne est le Parlement européen, seule institution dont les membres soient élus par le Peuple. A l'instar des Parlements nationaux, le Parlement européen est chargé de voter les lois et le budget européens. Il partage cependant cette responsabilité avec le Conseil des ministres, ce qui pose là un sérieux problème de mélange entre pouvoirs législatifs et exécutifs. Plus grave, seule la Commission est habilitée à proposer des lois, le Parlement ne pouvant prendre d'initiative en la matière, contrairement par exemple au Parlement français.
Les principales institutions sont :
A ces institutions, il faut ajouter la Banque centrale européenne, dont l'objectif est de maintenir la stabilité des prix, et la Cour des comptes.
Peut-on considérer ces institutions comme suffisamment démocratiques ?
Comme nous l'avons vu, seul le Parlement est élu au suffrage universel, il n'a pas l'initiative des lois et doit partager son pouvoir législatif avec le Conseil. La récente affaire des brevets logiciels européens montre à quel point cet aspect démocratique est fragile : dans cette affaire, le Conseil a tout bonnement supprimé sans discussion tous les amendements déposés par le Parlement, amendements très significatifs visant à restreindre les abus et dérives de la proposition de loi ; le Parlement se trouve alors dans l'obligation de réunir la majorité absolue pour rejeter ou amender cette loi, toute abstention comptant comme approbation de cette loi.
L'article I-47 (page 41/18) permet bien à un million au moins de citoyens européens d'inviter la Commission à soumettre une proposition de loi, mais aucune obligation n'est précisée : la Commission peut donc décider de ne donner aucune suite à cette invitation.
Heureusement, quelques garde-fous existent : le Commission est responsable devant le Parlement, qui peut la forcer à démissionner via une motion de censure. Le Parlement doit également approuver le choix du président de la Commission, choix effectué par le Conseil européen.
Cette évolution est très difficile, car nécessitant la ratification par tous les États membres (article IV-443 page 197/84). Cependant, si moins d'un cinquième de ces États membres ne ratifie pas cette modification, le Conseil européen se saisit du problème, ce qui peut laisser espérer une solution.
La difficulté de cette évolution est bien sûr contraignante. Elle peut apparaître comme stoppant définitivement les avancées sociales au niveau du traité actuel, avancées que certains trouvent insuffisantes. On peut cependant considérer à l'inverse qu'elle empêchera la remise en question de ces avancées : elle garantit par exemple qu'une majorité de pays européens ne pourra pas remettre en question contre l'avis de la France l'exception culturelle inscrite dans la Constitution.
N'en doutons pas, un vote négatif français provoquerait un séisme politique à l'échelle européenne. En effet, ce traité constitutionnel a été écrit par une équipe ayant à sa tête un ancien Président le la République française (Valéry Giscard d'Estaing), et incorpore un nombre significatif de concepts français, notamment dans les domaines social et culturel.
Il est indéniable que ce traité n'est pas entièrement satisfaisant, mais il ne faut pas non plus oublier qu'il est le résultat de compromis avec les autres pays européens. Le refuser parce qu'il ne prend pas suffisamment en compte les valeurs françaises, c'est en fait refuser que nos voisins européens ne pensent pas comme nous, c'est vouloir faire une Europe à l'image de la France, intention certes louable (à nos yeux du moins), mais totalement irréaliste dans une Europe démocratique où certains concepts français, pourtant passés dans ce traité constitutionnel, sont en fait minoritaires.
L'argument avancé d'une renégociation plus sociale du traité en cas d'échec de sa ratification ne tient pas devant la réalité des difficultés à se mettre d'accord à 15, puis à 25. Il ne faut pas oublier que la plupart des points jugés négatifs par les tenants du NON sont déjà en vigueur actuellement, contrairement aux points positifs (sociaux, culturels...). La notion de "concurrence libre et non faussée" est déjà très ancienne.
Voter NON ne signifierait certes pas la fin de l'Europe, mais un coup d'arrêt brutal à son évolution : dans le scénario le plus optimiste d'une renégociation du traité, combien d'années devraient s'écouler avant la sortie d'une nouvelle version de ce traité ? et ce dernier ne risquerait-il pas d'être très minimaliste, afin d'avoir une chance d'être ratifié ?
Dans le scénario le plus pessimiste, le vote NON bloquerait l'Europe pour longtemps dans une logique de Marché Commun, sans notion sociale commune, ce qui laisserait libre cours au "dumping social" des nouveaux entrants, au niveau de vie et de salaire souvent bien inférieur au nôtre.
Dans un scénario noir, il serait même envisageable que le traité soit ratifié par suffisamment d'autres pays pour pouvoir entrer en vigueur sans la France, qui se retrouverait, sans doute en compagnie du Royaume-Uni, à la marge de l'Europe, qui avancerait alors sans nous.
L'objet de cet article n'est pas de donner une consigne de vote, mais juste de fournir quelques éclairages.
Récapitulons quelques arguments (les arguments peuvent être contradictoires, car souvent subjectifs) :
Sur la constitution elle-même :
Sur les conséquences du vote :
On le voit, il n'existe pas d'argument massue en faveur du OUI ou du NON. Chacun devra donc se faire sa propre opinion pour voter en son âme et conscience. A défaut de consigne de vote, nous terminerons par quelques recommandations :
Hervé Jamet
Mai 2005
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