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Une société moderne occidentale s'articule autour de trois axes principaux, qui la structurent :
Ces trois composantes chacune source de pouvoir, dépendent de plus en plus étroitement des autres.
Historiquement, seule la Politique semblait détenir le Pouvoir. L'Economie, réduite à sa plus simple expression, lui était généralement soumise, et les Média étaient totalement inexistants. Cependant, malgré cette apparente soumission, l'Economie a toujours joué un rôle important en Politique. Lorsque les caisses étaient vides, le gouvernement se trouvait rapidement paralysé ; les seules manières de renflouer les finances étaient les impôts, les taxes, voire les conquêtes. Une économie faible signifiait également un faible niveau de vie du Peuple, et donc un mécontentement populaire.
On a fini par s'apercevoir que l'économie était à même de créer des richesses nouvelles, et qu'il lui fallait pour cela un minimum d'autonomie. L'augmentation de notre niveau de vie depuis trois siècles est du, d'une part aux nouvelles inventions, dont celle de la machine à vapeur qui a lancé l'industrie, et d'autre part à la libre circulation des biens et à la liberté des échanges.
L'augmentation de l'importance de l'Economie s'est de plus en plus accélérée jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à dépasser celle de certains gouvernements. Ce phénomène n'a été rendu possible que par la banalisation des transports, qui a permis l'apparition de multinationales, dont certaines ont fini par pouvoir largement influencer la politique de certains gouvernements, tout en restant indépendantes d'un gouvernement donné du fait de leur assise internationale.
Par ailleurs, politique et économie ont été de plus en plus liées, le pouvoir politique ayant encore le pouvoir de fixer le montant des impôts et des taxes tandis que le pouvoir économique peut de plus en plus influer sur le climat social par sa politique de création ou de suppression d'emplois, voire par sa politique sociale et salariale. Politique et Economie sont donc obligés de composer, cette entente étant bien entendu plus cordiale lorsque le gouvernement est situé à droite.
Si un gouvernement de droite favorise plus les intérêts économiques, ces derniers le lui rendent bien. Cet état de fait devient presque caricatural aux Etats-Unis, où le parti de droite bénéficie, pour ses campagnes électorales, de financements substantiels de la part des grandes industries, en particulier pétrolières ; en échange, d'éminents représentants de ces industries deviennent des personnages importants du gouvernement élu.
Les gouvernements de gauche, pour leur part, bénéficient théoriquement d'un soutien populaire plus important, la "France d'en bas" comptant plus de représentants que la "France d'en haut". L'équation n'est cependant pas si simple, l'image du "parti des patrons" étant largement contrebalancée par un discours liant la prospérité du pays à celle des entreprises, sans compter sa meilleure aptitude réelle ou supposée à répondre à des inquiétudes sur la sécurité ou l'immigration.
Bien avant les média, l'Ecrit a commencé assez tôt à constituer un contre-pouvoir. Avant les journaux, certains écrivains purent critiquer de manière plus ou moins ouverte ou dissimulée la société dans laquelle ils vivaient, ce qui valut à un certain nombre d'entre eux de sérieux ennuis. Parallèlement à la littérature, diffusée de manière plus ou moins officielle, circulaient sous le manteau des écrits beaucoup plus directs, les pamphlets, dont les auteurs étaient souvent passibles de la peine capitale s'ils étaient identifiés et surtout pris.
De nos jours, les média ont une diffusion planétaire, surtout depuis la popularisation d'Internet. Le type de gouvernement d'un pays peut se déduire de la seule manière dont il traite ses média, la démocratie respectant la libre expression et la dictature contrôlant au plus près la diffusion de l'information.
Etats dictatoriaux et média indépendants font généralement très mauvais ménage, et de nombreux journalistes ou écrivains croupissent dans les geôles de ces dictatures. On peut par ailleurs s'interroger sur le fonctionnement d'une institution comme l'ONU, qui a retiré son accréditation à l'organisation "Reporters sans Frontières" à l'instigation d'une coalition des pays les plus dictatoriaux. Une telle affaire discrédite l'ONU bien plus que n'aura pu le faire la guerre en Irak, mais peut-être était-ce le but recherché.
Il ne faudrait cependant pas croire que les média soient inexistants dans les régimes dictatoriaux ; ils sont généralement contrôlés et récupérés par le gouvernement, qui les transforme en instruments de propagande visant à consolider leur pouvoir. Même en démocratie, certains média ne sont pas indépendants, et servent d'instrument de propagande plus ou moins discrète à une formation politique ; on pensera bien entendu tout de suite à "L'Humanité", mais également au "Figaro". Cependant, en démocratie, la multiplicité des courants politiques permet la multiplicité des opinions exprimées dans les média, tout au moins au niveau de la presse écrite. Ces média sont souvent tributaires en partie du pouvoir économique, notamment par le biais de la publicité, ce qui peut dans certain cas limiter leur liberté de parole, ou pire les conduire à la faillite.
Les média indépendants ne doivent pas seulement lutter contre le pouvoir politique, mais de plus en plus également contre le pouvoir économique. Ce dernier, par nature non démocratique, n'a pas toujours les mêmes scrupules qu'un pouvoir politique démocratique à s'attaquer aux média. Si dans notre pays, il est tout à fait possible de critiquer, même violemment, l'action du gouvernement, il n'en va pas de même vis-à-vis du pouvoir économique.
Les entreprises disposent tout d'abord d'une législation qui leur est relativement favorable vis-à-vis des média. Toute attaque contre une entreprise risque bien entendu de fausser le jeu de la libre concurrence et de lui faire du tort. A ce titre, l'entreprise, qui dispose généralement d'un service juridique performant, peut aisément s'attaquer à l'empêcheur de faire des affaires en rond, et le mettre hors d'état de nuire en réclamant de forts dommages et intérêts.
Et même si l'entreprise n'est pas juridiquement fondée à attaquer l'auteur d'un article défavorable, la simple perspective de devoir se défendre en justice, avec frais d'avocats et dépenses d'énergie, peut suffire à dissuader tout critique potentiel n'ayant pas les reins assez solides.
Et encore, avant d'en arriver là, le critique potentiel doit déjà arriver à se faire publier. Beaucoup de maisons d'édition refuseront des sujets sensibles, par exemple une biographie non autorisée d'une personne connue, surtout si cette personne est propriétaire d'un grand réseau de distribution de livres.
La liberté d'expression reste alors toute théorique. Il est vrai qu'il ne s'agit pas non plus d'autoriser n'importe qui à diffamer sans risque qui bon lui semble, ni même à dévoiler la vie privée de quelqu'un dès lors que cette vie privée n'interfère pas avec la Société. Il ne s'agit pas d'autoriser la publication de mensonges flagrants comme les théories révisionnistes sous couvert de cette liberté d'expression. Un équilibre est donc à trouver, mais cet équilibre ne doit absolument pas faire intervenir la fortune ou l'importance des protagonistes.
Lorsque les trois pouvoirs, politique, économique et médiatique sont réunis dans une seule main, la dictature n'est pas loin. L'exemple le plus inquiétant en est l'Italie, où le plus grand propriétaire de média a été porté au pouvoir politique. Il cumule donc le pouvoir politique (avec les média publics), le pouvoir économique avec son empire médiatique et le pouvoir médiatique. Cependant, l'Italie reste une démocratie ; en effet, presse et média indépendants existent toujours, et il ne saurait être question de les interdire. De plus, l'Italie est membre de l'Europe, et ne peut pas faire n'importe quoi. On constate malgré tout un certain nombre de dérapages, comme le vote d'une loi mettant le chef du gouvernement à l'abri des poursuites judiciaires alors qu'il était convoqué chez le juge.
On a plutôt tendance à voir les média comme une contre-pouvoir. Le risque serait que certains média, grisés par leur influence, veuillent une part du pouvoir. Ce glissement est parfois dénoncé, notamment par certains journalistes plus scrupuleux que d'autres, qui s'inquiètent de la trop grande intimité entre le monde politique et les média, intimité allant souvent jusqu'au tutoiement entre hommes politiques et journalistes, et quelquefois même jusqu'au mariage (entre ministres et journalistes de télévision), ce qui pose alors certains problèmes déontologiques intéressants.
Lorsqu'un média se présente comme le porte-parole d'un mouvement politique, il est tout à fait normal de le voir prendre parti, puisqu'en fait, ce n'est pas lui qui prend réellement parti, mais le mouvement politique. Dans ce cas, le lecteur (ou le spectateur) sait à quoi s'en tenir. Par contre, lorsqu'un média se présente comme indépendant, il devient choquant de le voir prendre parti, notamment en période électorale, en soutenant tel ou tel candidat. On n'est alors pas loin de l'abus de confiance, en essayant de faire passer une information partisane comme indépendante. Cette prise de parti n'est bien entendu pas gratuite, le média, ou du moins ses dirigeants espérant en tirer des dividendes.
En dehors des trois pouvoirs, politique, économique et médiatique, existe-t-il d'autres pouvoirs ? Il viendra vite à l'esprit le pouvoir religieux. Cependant, la religion constitue-t-elle un pouvoir de nature différente de celle du pouvoir politique ? La réponse est clairement négative dans beaucoup de pays, où religion et politique sont étroitement mêlés, que ce soient des pays musulmans appliquant la charia (loi coranique) ou des pays occidentaux comme les Etats-Unis où la religion est présente jusque sur les billets de banque.
Dans des pays fortement laïcs comme la France, quelle est la place de la religion ? Elle sert bien entendu de guide à ceux de ses fidèles qui veulent bien suivre les règles qu'elle édicte, ce qui lui confère un certain pouvoir ; mais ce pouvoir est librement accepté, et peut être refusé par n'importe qui, à n'importe quel moment, et cela sans avoir à se justifier. Ces pouvoirs sont de plus subordonnés à la législation, aucune règle religieuse n'étant officiellement autorisée à contredire la loi.
Cependant, rien n'interdit aux politiques d'avoir des opinions religieuses, et rien ne leur interdit d'essayer de les transposer au niveau politique. Des catholiques pourront s'opposer à des lois condamnées par le Vatican (contraception, avortement, PACS), mais cette opposition ne pourra être présentée que comme une opinion au même titre que d'autres, la condamnation religieuse ne constituant pas un argument plus fort qu'un autre.
Il est donc légitime d'assimiler le pouvoir religieux (et non la religion en elle-même) à un pouvoir politique, ou du moins à une de ses composantes.
N'aurions-nous pas oublié le premier détenteur de pouvoir en démocratie, c'est-à-dire le Peuple ? nul ne pourra nier son pouvoir lors d'échéances électorales, où il peut faire et défaire des gouvernements et leur politique. Certaines défaites électorales, pour ne pas parler de déroute, nous donnent bien l'impression de la toute-puissance de la volonté populaire face aux formations politiques.
Cependant, plusieurs faits tempèrent largement cette constatation. Le premier réside dans le principe même des élections : le couperet populaire ne peut tomber qu'à échéances déterminées, entre lesquelles le peuple n'a plus guère son mot à dire sur la conduite des affaires. Certes, il a toujours la possibilité de manifester son mécontentement, mais le pouvoir politique a le droit de n'en tenir aucun compte ("Ce n'est pas la rue qui gouverne"), ce qui peut d'ailleurs être tout à fait légitime lorsque certaines réformes impopulaires sont nécessaires.
Par ailleurs, la légitimité d'un pouvoir politique élu ne peut exister que si ce pouvoir tient ses promesses électorales. Lorsque ces dernières sont bafouées une fois les élections passées, on peut légitimement parler d'escroquerie envers le Peuple. Bien entendu, si certaines de ces promesses ne pouvaient pas être tenues, mieux vaut alors choisir le moindre mal et prendre les mesures nécessaires plutôt que persister dans l'erreur.
Cependant, le plus grand obstacle à l'exercice du pouvoir populaire est d'ordre logique, pour ne pas dire mathématique. Il ne peut pas en effet exister de système électoral permettant de refléter fidèlement la volonté populaire. Sans entrer dans les détails, les dernières élections présidentielles nous ont bien illustré l'effet de la multiplication des candidats sur le résultat de l'élection. En tout état de cause, quel que soit le type de scrutin choisi, même le plus compliqué, il est toujours possible d'en tirer des résultats biaisés, voire carrément paradoxaux.
Hervé Jamet
Août 2003
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